De l’autre côté de la frontière, Thibaut de Ruyter

De l’autre côté de la frontière
par Thibaut de Ruyter
2006


L’artiste franco-estonienne Eléonore de Montesquiou vit — comme beaucoup de ces contemporains — entre deux pays, quelques frontières, de nombreuses histoires et plusieurs langues. Son art vidéo pourrait être qualifié de documentaire s’il ne mettait pas en place des narrations discontinues, des fragments de vie, des petits moments d’histoire intime et personnelle, laissant beaucoup de place à la subjectivité. Et ce que les gens lui racontent en Autriche n’est finalement pas très loin de ceux qu’elle écoute en Pologne ou en Russie. Des histoires de déracinement et de recherche d’identité où, au moment de monter, l’artiste disparaît pour laisser parler les habitants de territoires oubliés.
Après un long séjour en Estonie, elle revient à Berlin avec une installation vidéo intitulée Atom Cities et une publication d’envergure (deux volumes représentant plusieurs centaines de pages d’interviews). Dans deux villes différentes (Sillamäe et Paldiski), l’URSS a déplacé après la seconde guerre mondiale des milliers de personnes afin d’exploiter de l’uranium. Villes secrètes et interdites, elles sont aujourd’hui comme des îles où les habitants ne parlent pas estonien, ont un passeport d’apatride et pas vraiment de citoyenneté. Il faut donner de son temps pour comprendre les tenants et les aboutissants de ce projet, et voir comme les décisions politiques, les tournants historiques, les législations contemporaines, peuvent avoir un impact considérable sur la vie quotidienne d’habitants impuissants.
Surtout, Eléonore de Montesquiou fait preuve d’un véritable amour pour ses sujets. Et elle prouve qu’un artiste international aujourd’hui n’est pas celui qui court de ville en ville, de biennale en foire, d’exposition en colloque, mais celui capable de transporter avec lui un questionnement personnel et de le confronter patiemment à la réalité du monde qui l’entoure.

Thibaut de Ruyter